Du 1 mars au 17 mai 2015, Ein Tisch ohne Brot ist ein Brett, exposition personnelle de Sophie Nys, sur un commissariat d'Elfi Turpin.
Ein Tisch ohne Brot ist ein Brett, Ein Tisch ohne Brot ist ein Brett, Ein Tisch ohne Brot ist ein Brett, Ein Tisch ohne Brot ist ein Brett… Voilà que je me prends à répéter sans fin cette sentence qui titre cette exposition personnelle de Sophie Nys comme pour mieux en saisir la mécanique et la substance. Car cette déclaration, qui non seulement fait image, informe aussi bien les enjeux de travail de Sophie Nys en général que les préoccupations à l’œuvre dans cette exposition en particulier. Ein Tisch ohne Brot ist ein Brett, littéralement «une table sans pain est une planche» , est l’adaptation d’un dicton russe qui approche tant l’objet dans son plus simple appareil matériel que l’histoire qu’il soulève. Ein Tisch ohne Brot ist ein Brett, et voyez-vous les mots sont plaisants à prononcer, est donc cet implacable jeu conceptuel, économe et rudimentaire, qui adresse tout un pan de l’Histoire, celle du pain et de son absence, et par extension des crises et des famines qui ont traversé l’Europe.
Car si Sophie Nys s’intéresse à l’Histoire, à sa fabrique et à sa représentation, elle l’approche toujours à travers des sources—objets, archives, documents—dont elle observe avec curiosité l’espace négatif, presque l’inconscient ou le refoulé, en opérant par association d’idées et analogies formelles. Il n’est donc pas à proprement parler histoire de pain dans cette exposition. Il est plutôt histoire de son absence en période de crise, par exemple durant les guerres qui ont sévi dans cette partie du monde—à Altkirch et ses environs où se situe aujourd’hui le centre d’art—et des recettes ou pratiques alternatives que les habitants de cette partie du monde, donc, ont pu inventer.
Sophie Nys s’est notamment penchée, sur un certain nombre d’œuvres et d’objets significatifs du passé industriel de la région et plus particulièrement de la figure du travailleur—corps social et politique qu’elle rapproche de sources issues d’autres champs géographiques, historiques ou artistiques. Elle ramène ainsi pour la première fois dans une exposition ses sources originales—à la fois source d’inspiration de son travail et source au sens historique du terme—qu’elle a collectées en divers musées et sites du territoire et qu’elle actualise en des agencements de gestes et de formes critiques.
Ainsi le corps du Schweissdissi «l’homme qui sue» va côtoyer en creux les figures de Patti Smith, Joseph Beuys ou Carl Andre dont les 120 briques réfractaires arrangées en rectangle vont rencontrer les doigts accidentés d’ouvriers qui se sont pris les mains dans l’outil de production sur lequel jamais ils n’eurent la main, qui vont croiser le regard triste de Dumbo, un tout petit terrassier, les voyages sous terre de mineurs herculéens, une peinture industrielle, une sculpture punitive, d’ingénieuses tables-chaises ou encore quelques pratiques populaires clandestines, et produire ensemble d’improbables chaînes d’événements.
—L’Histoire sans critique est inerte ; la critique sans Histoire est vaine*, dit Hal Foster.
—Ein Tisch ohne Brot ist ein Brett, ajouta Sophie Nys.
—Elfi Turpin, Février 2015.
* «History without critique is inert; criticism without history is aimless » in Marquard Smith, «Polemics, postmodernism, immersion, militarized space: a conversation with Hal Foster». Journal of Visual Culture 3 (3): 320–35, 2004.
Cette exposition est réalisée avec le soutien du Vlaamse Gemeenschap—Agentschap Kunsten en Erfgoed.