À partir du 13 mai 2020, Corps-trace, corps-espace: premières observations sur une exploration pédagogique caribéenne du corps et de l'opacité (2019), un essai de Minia Biabiany, accessible en ligne dans le cadre du programme Windows (18 rue du Château).
Durant l’été 2019, Minia Biabiany produisait au centre d’art l’installation Qui vivra verra, Qui mourra saura pour l’exposition collective Le jour des esprits est notre nuit. Elle terminait alors l’écriture en espagnol du texte Corps-trace, corps-espace: premières observations sur une exploration pédagogique caribéenne du corps et de l'opacité, initialement publié par le magazine mexicain d’art contemporain Terremoto pour son numéro 15, Cuerpo pólvora, édité avec Lorena Tabares Salamanca. Nous vous proposons une traduction inédite du texte en français accompagnée de sa version anglaise.
En partant de la rencontre entre le corps et l'imaginaire caribéen en tant que formes d'interprétation sensible et corporelle permettant de construire d'autres perspectives que celles formatées par la colonisation et le capitalisme, l'artiste Minia Biabiany esquisse ici une série de réflexions pédagogiques à propos des projets Semillero Caribe et la Plateforme Doukou.
Corps-trace, corps-espace: premières observations sur une exploration pédagogique caribéenne du corps et de l'opacité
«Nous passons notre temps à réfuter au lieu d'affirmer quelque chose. Cette figure impérialiste ne cesse d'interférer dans nos processus de réflexion et de narration de nous-mêmes.»
—Dionne Brand [1]
Depuis 4 ans, je m'interroge sur ce qui se passe lorsque l'on apprend et que l'on intériorise dans un contexte post-esclavagiste et/ou colonial. Ces interrogations m'ont amené à travailler avec le faire, avec l'agir des différents corps: du corps nié historiquement au corps habité comme outil d'attention et d'observation de soi. De l'observation des logiques assimilatrices qui se vivent en Guadeloupe [2], mon île natale, me sont venues deux questions: par quelles actions peut-on déconstruire un formatage sociétal? Comment récupérer la possibilité de se comprendre et de se déterminer? Ces deux questions ont été et continuent à être les fils conducteurs et les moteurs d'un processus d'exploration de l'apprentissage aujourd'hui. Deux projets articulés autour du corps et de concepts d’auteurs caribéens ont vu le jour à partir de cette recherche avec chacun leur temporalité propre: le Semillero Caribe ("Pépinière" Caraïbe) qui s'est construit en collaboration avec Madeline Jiménerz et Ulrik López en 2015 et réalisé en 2016 dans le contexte de la ville de Mexico, et la plateforme Doukou, pensée de manière individuelle mais réalisée collectivement à Cali (Colombie) en 2018 et qui continue d'exister aujourd'hui.
L'archipel de Guadeloupe se situe dans la Caraïbe, dans l'Arc des Petites Antilles et appartient actuellement à la France. Sa population, comme beaucoup d'autres, est fortement marquée par une aliénation capitaliste et coloniale. Ici, le terme “aliénation” problématise deux aspects: le fait d'être devenu.e étranger.ère à soi-même et le désir d'être un·e autre. Il marque l’oubli de la valeur de la différence et d'une possible découverte de soi. Le corps historiquement aliéné est autant celui qui a été rendu esclave et dont l'humanité est niée pendant deux siècles que celui du colon européen qui domine. Pour l'esclavagisé·e, le corps est l'affirmation de la survie, le seul pouvoir du "migrant nu". C'est par le corps que passe tout échappée, par la mort ou par la réinvention. Il rend possible la constitution de nouveaux langages de connaissance de l'entour et des forces: l'invention de rites, de musique, de danse, d'oralités et de langues. L'imaginaire du corps dans la Caraïbe, qui s'est construit après l'invasion transatlantique européenne au XVIe siècle du continent renommé “Amérique”, a, dès le départ, résonné avec les logiques d'oppression capitaliste de l'oubli de soi [4]. D'autre part, il trouve aussi un écho dans la nécessité constante qu'a l'esclavagisé·e de réaffirmer son humanité: une écoute de soi comme forme de résistance et une valorisation du corps comme voie de reconstruction et d'empowerment. Bigidi [5], corps-histoire.
Apprendre, acquérir à travers l'expérience, implique une lecture et un vécu spécifique des corps. À mon arrivée à Mexico en 2015, le fait d'être une femme noire caribéenne avec les cheveux crépus suscitait une curiosité à peine cachée. Mon corps interrogeait. J'allais régulièrement à la Coopérative Cráter Invertido, collectif d'artistes-activistes et espace multi-dynamique ayant comme approche l'exploration de la production autonome et la création collective. Lors de nos conversations animées, je faisais régulièrement référence au poète et philosophe martiniquais Édouard Glissant et à sa pensée comme une énonciation des liens entre violence, domination coloniale, luttes et traumas de la mondialisation, traite transatlantique ou encore l'origine de la prétention d'une supériorité intellectuelle occidentale eurocentrique. Parce qu'ils possèdent une force poétique, ses concepts d'opacité et Relation me semblaient être des ressources conceptuelles pertinentes pour aller vers une interprétation sensible et corporelle; mais également pour permettre l'émergence de perspectives nouvelles sur la construction occidentale de l'interprétation des réalités sociétales d'hier et d'aujourd'hui [6]. Notre intérêt portait particulièrement sur la construction de la relation à l'autre dans un contexte mexicain marqué par le racisme sociétal et institutionnel, le classisme, le machisme et la destruction de la richesse des peuples autochtones par l'État, à travers la négation de leur différence, de leurs langues [7], de leurs croyances et de leurs corps. Comment ces concepts d'opacité de la Relation pouvaient-ils donner lieu à une nouvelle manière de les aborder? Que pourrait être une pédagogie décoloniale caribéenne? Grâce à l'appui logistique de Cráter Invertido, et au milieu de son chaos fertile, j'ai invité Madeline Jiménez et Ulrik López, ami·e·s et artistes caribéen·ne·s vivant à Mexico, à inventer avec moi les futurs moments d'interaction du Semillero Caribe [8]. Monter dans la barque et se laisser porter.
À l'aide de nos vécus de trois Caraïbes insulaires différentes, la République Dominicaine, Puerto Rico et la Guadeloupe—chaque île étant marquée par des niveaux de domination coloniale et des résistances aux visibilités variables—, nous décidions de travailler à partir de contrastes en prenant le geste, la parole et le texte comme éléments d'apprentissage complémentaires. Quatre axes de travail—la Relation, le colonialisme intériorisé, le corps/l'oralité, le territoire—, que nous avons tirés des textes de quatre auteurs, Antonio Benítez Rojo de Cuba, Édouard Glissant et Frantz Fanon de Martinique, et Kamau Brathwaite de Barbade [9] ont structuré chacune des huit sessions de 4 heures. Chaque groupe mixte d'une dizaine de personnes était constitué d’inconnus et de proches au hasard des disponibilités et de l’envie d’en savoir davantage sur la Caraïbe.
Dans la méthodologie du Semillero Caribe, nous avons travaillé avec le corps comme outil principal pour concevoir des va-et-vient entre textes, narrations et ressentis générés par la respiration, le dessin, le cri, le toucher, l'écoute, la répétition. Les exercices ont été choisis pour permettre l'accès aux émotions par les sens. Par exemple, la formulation de questions à mettre en commun, une lecture dans un environnement particulier, l'expression corporelle, le lien entre les différentes activités qui se succèdent, la recherche d'émergences de similarités, ont tissé progressivement une trame entre les participant·e·s.
Comment pouvions-nous concevoir des contenus permettant de susciter des émotions liées à ces concepts? Généralement peu utilisées lorsqu'il s'agit d'aller vers une pensée théorique, les modulations de l'attention et l'implication des sens permettent de générer une expérience de ressenti [10] qui sollicitent les traces, les émotions accumulées. Les sensations de chacun.e construisent un "faire ensemble" pour former une entité commune, informe et fertile. Une fois en groupe, les comportements sociaux rendent plus facilement identifiables les résistances face à une certaine vulnérabilité, laquelle permet de favoriser un changement dans les trajectoires émotionnelles respectives et d'amener une capacité d'auto-connaissance sensible. Pendant le Semillero Caribe, le corps-outil s'est activé à partir de l'acceptation de cette posture de fragilité de la part des participant·e·s, sans possibilité de s'attacher à une attente, de savoir ce qui viendra ensuite.
Nous avons tenté ainsi de perturber les valeurs politiques et cognitives habituelles du vivre ensemble, de la validation, du donner et du recevoir, d'agresser et d'être agressé.e, d'être à l'écoute, de guider, d'être guidé·e. Nous avons expérimenté avec le principe de fonctionnement neurologique: la boucle perception/action, corps/esprit. Nous avons observé la Relation opérer en nous et entre nous de multiples manières grâce à des exercices variés qui impliquaient de trouver de nouvelles stratégies pour entrer en communication avec les autres. Notre appropriation de la notion d'opacité nous a permis de proposer des activités sans se forcer à reconnaître l'intelligibilité de ce qui était vécu. C'est là que réside l'opacité. Nous avons cherché des alternatives aux clichés coloniaux de la corporalité caribéenne en explorant des expériences climatiques, comme l'humidité ou les mouvements des ouragans. De cette manière, un autre type d'expérience corporelle a engagé la relation au corps de chacun·e dans une perspective d'auto-observation et de responsabilisation émotionnelle. L'observation de nos nécessités grâce à l'exploration de nos relations, à travers nos corps, a permis une approche inédite de ces concepts et de leurs auteur·e·s, en offrant l'opportunité d'inventer, de manière décoloniale, un imaginaire caribéen dans le contexte de la ville de Mexico. Plusieurs temporalités se sont entrecroisées pendant ces sessions, convoquant le souvenir, la projection et le corps vivant dans le présent. En plus d'être un des outils de construction narrative dans certains exercices, la parole prenait le relai à la fin de chaque session afin de partager les moments forts identifiables sur l'instant. Il n'y avait pas de résultats prédéterminés à atteindre. Nous avons accompagné chaque session, de manière horizontale, attentiv·e·s aux nécessités du groupe et ouvert·e·s aux possibilités de chacune des personnes présentes. Nous avons cherché à la fois à marquer les corps et à révéler leurs traces, à dessiner des ouvertures sur nos réflexions: un des avantages de travailler avec l'opacité est de pouvoir planter à l'aveugle, en s'éloignant de nos habitudes de contrôle et en rendant possible des narrations rhizomatiques. Corps-trace, corps-graine.
«Le savoir croît selon les lignes de correspondance: dans la mise en commun, où elles se rejoignent, et dans la variation, où chacune devient elle-même» [12]. La force poétique du faire-opaque s'est manifesté pendant le Semillero Caribe à partir de l'interpénétration d'un contexte, d'une énergie de groupe, d'un rythme précis, d'une disposition à la confiance et d'une volonté d'apprendre. De retour en Guadeloupe, ma réflexion sur l'action productive de l'expérience en tant que voie privilégiée d'un apprentissage de l'autonomie a continué à faire son chemin. J'ai ainsi donné plusieurs ateliers de créativité en milieu scolaire en lien avec l'Histoire de la Guadeloupe [13] et j'ai fondé la plateforme Doukou [14] en 2017.
Grâce à l'invitation que m'a faite la curatrice Yolanda Chois dans le cadre de son projet “Tópicos entre tópicos”[15], l'exploration du corps-outil s'est prolongé avec un groupe non mixte de femmes de Cali en Colombie. Les activités étaient basées sur des textes de femmes auteures caribéennes (absentes de la sélection du Semillero Caribe), puis, au vu de la situation de discrimination raciale en Colombie et de la méconnaissance des auteures colombiennes du Pacifique, nous avons inclus des auteures de cette région et nous avons créé une passerelle diasporique entre la Caraïbe et la Colombie noire. Pour élaborer cette série d'exercices, j'ai pris comme base de réflexion des narrations de Jamaica Kincaid (Antigua) et Nefta Poetry (Guadeloupe) pour le Caraïbe, Mary Grueso et Nohelia Mosquera pour la Colombie (Choco). À la différence du Semillero Caribe, les textes sélectionnés pour le Semillero Doukou à Cali étaient des textes littéraires. L'absence de production textuelle identifiée comme “théorique” par la grande majorité des auteures caribéennes, répond à une stratégie de rejet de la nécessité patriarcale à affirmer ce qui est vrai et juste, et à la décision de se démarquer de ses logiques de domination intellectuelle [16]. La structure des sessions s'est construite à partir d'images extraites des textes puis mises en relation avec un concept: la mangrove et la Relation, l'eau et l'Opacité, la trace et le Bigidi. Pour la première fois de passage en Colombie, le rapport au corps à Cali, ville reconnue pour l’omniprésence de la salsa et avec rôle social, m'était inconnu. J'ai invité des chercheuses locales à intervenir lors de chaque session: la danseuse Angélica Nieto avec la danse-mangrove, l'écrivaine Jenny Valencia avec le conte urbain Shangó y el cerro de las tres cuzes de Cali (Shangó et la colline des trois croix de Cali) [17], l'artiste plasticienne Carolina Charry avec un travail de la voix, et la curatrice Ericka Florez en collaboration avec la danseuse Andrea Bonilla avec leur recherche sur la ligne droite et la ligne courbe. De même, l'écrivaine de la région de la Valle del Cauca Otilia Caracas nous a accompagnées avec ses textes tout au long de ce semillero. Le semillero Doukou a pu avoir lieu grâce à l'appui logistique de Más Arte Más Acción et du département culturel de la Banque de la République de Cali.
De manière générale, lorsqu'on prend conscience de quelque chose, c'est à dire lorsque se déplace notre perspective sur un événement, cette prise de conscience s'accompagne d'une émotion forte (douleur ou plaisir) qui modifie nos certitudes, nos habitudes de pensées/action/relation—en somme, nos croyances. C'est là qu'apparaît l'apprentissage. L'émotion a pour rôle de provoquer la prise de conscience. Elle relève d'un enjeu politique de considération de ses besoins et de recherche d'autonomie. Selon le biologiste Francisco Varela, tout mécanisme d'apprentissage passe inévitablement par elle. [18] Pour le Semillero Doukou à Cali, je cherchais à mieux cerner les conditions pour que l'émergence poétique et le décollement du regard se produisent en chaque individu, en respectant les temps de chacun.e et sans l'imposition d'une connaissance validée. Par exemple, les participantes ne se sont pas présentées de manière formelle et ont travaillé ensemble sans connaître leurs prénoms respectifs dans le but d'activer et de désactiver des systématismes de jugement. Elles se sont mutuellement observées pendant un long moment, elles se sont écrit des textes, ont parlé de leurs liens avec l'objet que chacune avait offert à l'espace pour le temps des sessions. L'attention multiple, l'écoute, le sentiment, la sollicitation des automatismes de jugement, le faire, les traces intimes, les narrations personnelles ont circulé de manière apparement chaotique entre les indications. Le groupe soudé et créatif a développé son propre mode de connaissance en mouvement, en passant par l'écriture et l'appropriation de l'espace. Le corps-outil se déplia en un espace constitué de différentes possibilités de perception des volumes qui le composent.
L’expérience montre qu’il y a un questionnement nouveau pour les participant·e·s. Il est issu de l’émergence d’un pouvoir de décider pour soi et guidé par son corps comme validation. Les dialogues de fin des sessions mentionnent avec surprise la force que constitue la présence du corps mais aussi d'une mémorisation des concepts clés sur le moment. Le Semillero Doukou [19] expérimente à partir de l'importance du sentir, de l'observation des émotions, de se surprendre d'une rencontre avec son propre corps, ses strates, les émotions de l'instinct. Le corps permet de ne pas se centrer sur les violences du récit colonial et capitaliste, mais en même temps de s'en approcher au plus près. Sans vouloir systématiser une méthode, l'alternance d'une activité/passivité qui convoque nos habitudes a rendu possible une distance d'observation. Corps-espace.
Chaque personne perçoit son corps de manière unique, construite et héritée. Nous nous adaptons et nous apprenons constamment. Le corps possède un potentiel d'apprentissage et de guérison grâce à l'attention que nous accordons à nos intentions à travers l'émotion et le sentiment. Ici, l'attitude des facilitatrices/facilitateurs d'atelier est déterminante (attitude, bienveillance, absence de jugement, expérience). La pédagogie décoloniale restitue les possibilités d'exercer le pouvoir d'invention de chacun.e à partir de la déconstruction réalisée. Travailler avec le corps signifie travailler sans cesse la faculté de connexion avec l'entour et avec soi-même, ouvrir la question de la limite. Corps-histoire, corps-trace, corps-graine, corps-espace.
Minia Biabiany
Traduction d'Anouk Devillé
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[1] Dionne Brand “Forger une langue à la mesure de notre richesse” - programme de radio de Cases Rebelles n°82, publié en décembre 2018. http://www.cases-rebelles.org/episode-n82/
[2] Le territoire de la Guadeloupe appartient à la France depuis 1635. Il fut successivement anglais et puis français. Depuis 1946, la Guadeloupe est un département français. L'archipel de Guadeloupe a un niveau de vie privilégié, plus élevé que dans les îles voisines grâce à une économie fragile et artificielle qui dépend complètement de l'injection de fonds européens.
[3] Terme utilisé par Glissant. Celui-ci marque un différence avec le migrant qui peut apporter avec lui des biens et de signes d'appartenance culturelle ou religieuse du contexte qu'il abandonne. Voir Philosophie de la Relation: poésie en étendue, Editions Gallimard, 2009.
[4] Faire oublier la conscience de la corporalité, les dieux, la connaissance et l'ancestralité a été une des principales préoccupations des colons européens dans leur stratégie de destruction de la femme et de l'homme africain.e dans le but de la.le rendre docile.
[5] Le Bigidi est un concept comprenant le déséquilibre comme nouvelle forme d'avancer. Il a été mis en lumière par la chorégraphe guadeloupéenne Léna Blou à partir de son observation du Gwo Ka, danse et musique traditionnelle guadeloupéenne. L'expression populaire en créole dit “bigidi men pa tonbé”, ce qui signifie bigidi (elle chancèle) mais ne tombe pas. Voir la vidéo sur Youtube Léna Blou Le bigidi la parole de l’être! <https://www.youtube.com/watch?v=u8Oojo5pJqg> [Consultée le 20 mai 2019].
[6] Dans son travail, Glissant questionne depuis les années quatre-vingt la validité du modèle occidental, sa formation et logique de domination et sa notion de progrès. Le concept de Relation et d'identité rhizomatique propose une autre lecture de ce qu'est l'identité, dans son mouvement et ses rencontres, sans que ne soit valorisé un modèle culturel plus qu'un autre. Voir Poétique de la Relation – Poétique III (Gallimard, 1990)
[7] Par exemple, quand Glissant énonce à différents moments qu' “il parle en présence de toutes les langues du monde”, il évoque qu'il n'est pas nécessaire de les comprendre pour être en lien avec elles et, en même temps, il souligne la disparition dramatique des langues des nombreux peuples autochtones. Voir par exemple l'essai J'écris en présence de toutes les langues du monde d'Edouard Glissant <http://sens-public.org/articles/614/> [Consultée le 15 avril 2020]
[8] Le nom Semillero Caribe est un jeu de mots. Nous avons choisi le mot “semillero” (pépinière) et pas “seminario” (séminaire) pour marquer la différence entre notre approche et celle d'un contexte d'apprentissage classique conventionnel, en intégrant l'action métaphorique de planter des graines, chacune ayant ses besoins et son temps de germination. Nous connaissions l'existence des semilleros et cuadernillos ("séminaires" et carnets) de l'EZLN (Armée Zapatiste de Libération Nationale).
[9] Cette base épistémologique a donné lieu à quatre publications trilingues, pour répondre en partie à la diversité linguistique de la Caraïbe (anglais, français, espagnol), conçues comme les supports pédagogiques du Semillero Caribe. Les publications du Semillero Caribe ont été publiées avec la licence Creative Commons et sont en accès libre à travers ce lien: <https://www.dropbox.com/sh/4qbrc7gt53a738g/AACmumaGtwg21TSp8RT2TlIfa?dl=0> [Consultée le 20 mai 2019].
[10] Chaque noyau familial génère une systématisation de réaction face à la perception d'une émotion. Tout milieu social répond et génère des codes de comportement face aux émotions, et ceux-ci deviennent en général des habitudes. Comment faire émerger une resignification des émotions pour avoir la possibilité de recevoir et de vivre ces émotions de manière inhabituelle, et ainsi changer la perspective de notre réaction au moment où nous observons l'expérience d'une émotion? Comment les concepts abordés peuvent-ils apporter la perspective d'un vécu de déconstruction de la colonialité? Mon hypothèse de recherche est que le concept se travaille comme une expérience multifocale. Il émane d'une conception de ce qu'est l'acte de comprendre comme une succession d'étapes qui ne sont jamais dissociées de l'émotionnel.
[11] Dans l'acte de partager en groupe, il y a une double activation constante. On passe d'une étape d'écoute, de réception de l'expérience d'une autre personne, à la comparaison avec le vécu de chacun.e. Il s'agit également d'une étape de formulation, de traduire par les mots ce qui est vécu. Pour ce faire, il faut revisiter l'expérience vécue à travers une activation mentale, émotionnelle et physique qui transite continuellement entre le geste et le mot. Partager en groupe est passer constamment d'un niveau de passivité ou d'activité à une autre niveau de passivité ou d'activité. Pour en savoir plus entre la relation passivité/activité, voir Tim Ingold, L’anthropologie comme éducation. Éditions Paideia, Presses universitaires de Rennes, 2018.
[12] Tim Ingold, L’anthropologie comme éducation. Éditions Paideia, Presses universitaires de Rennes, 2018.
[13] Proyect Wi’an Art, Questionner en rézistans, avec l'artiste Jean-François Boclé.
[14] Le mot doukou en créole guadeloupéen se traduit comme une phase lunaire. Il faut observer le doukou pour savoir quand il faut semer, tailler/élaguer et récolter. Hors contexte agricole, le mot "doukou" implique, dans la langue créole, d'agir au moment juste afin de terminer un cycle.
[15] Tópicos entre trópicos est une plateforme de pratiques artistiques gérée par la curatrice Yolanda Chois. Elle est pensée comme un programme d'échange et de pensées et d'actions entre des personnes habitant des lieux dont les réalités connaissent un passé colonial, des éléments de la diaspora africaine, du métissage culturel, des crises politiques et esthétiques, et, en général, des territoires en marge ou périphériques.
[16] Odile Ferly, A Poetics of Relation: Caribbean Women Writing at the Millennium. Palgrave Macmillan, 2012.
[17] Jenny Valencia Alzate, El diablo del barrio obrero y otros cuentos de terror, Caza de libros, 2016.
[18] Consulter la vidéo YouTube: Francisco Varela: Né pour organiser (FR/ENG/ESP) (2/2) <https://www.youtube.com/watch?v=9qIWCMssyTk> [Consultado el 20de mayo de 2019].