Du 8 juin au 24 août 2003, Comme une image, exposition collective avec un ensemble d'œuvres de la Collection Rafael Tous, Francesc Abad, Txomin Badiola, Paul Blanca, Ana Busto, Tacita Dean, Roland Fischer, Alberto Garcia-Alix, Dan Graham, Joachim Grommek, Noritoshi Hirakawa, Anna Malagrida, Josep Maria Martin, Tracey Moffatt, Sergio Olivares, Alberto Peral, Marcel Pey, Maya Roos, Andres Serrano, Cindy Sherman, Francesc Torres, Jeff Wall, sur un commissariat d'Hilde Teerlinck.
Cécile Dazord: J'aimerais que nous évoquions tout d'abord votre parcours de collectionneur avant d'aborder plus précisément l'exposition Comme une image présentée au CRAC à Altkirch.
Rafael Tous: J'ai commencé à collectionner en 1966. Je m'intéressais alors à la peinture espagnole de la fin du XIXe siècle. Très vite, il m'a semblé absurde d'acheter des œuvres d'artistes disparus. Je me suis alors tourné vers la création contemporaine. En 1968, alors que le régime de Franco était encore en place, j'ai acquis un certain nombre de peintures figuratives et de peinture à forte connotation politique. J'achetais également des sculptures. J'ai commencé à acheter des installations vidéos en 1970, Muntadas notamment. Dix ans plus tard, j'ai ouvert à Barcelone un espace de 150 m2 que j'ai appelé « Metronom ». Je voulais aller à la rencontre du public. Au début des années quatre vingt dix, j'ai renforcé ce lieu en créant une bibliothèque constituée de deux cent cinquante mille documents (monographies, catalogues, revues d'art, cartes postales), et organisé outre les expositions, des concerts, des spectacles de danse et des séances de cinéma expérimentales. Ma collection rassemble à ce jour quatre cents pièces d'art conceptuel espagnol, ce qui en fait la plus importante en Espagne du point de vue des œuvres de cette tendance. L'ensemble compte à ce jour mille cinq cents œuvres, parmi lesquelles un très grand nombre de photographies contemporaines.
CD: Vous avez une prédilection pour la photographie?
RT: Oui, y compris les photos amateurs et touristiques. Je prends moi-même quantité de photos. Je m'intéresse moins à la photographie documentaire ou journalistique.
CD: Avez-vous un pays, une zone géographique privilégiés?
RT: Je privilégie les jeunes artistes espagnols et catalans. J'ai rassemblé, là encore, la plus importante collection en Espagne. Je collectionne également des artistes étrangers, français et allemands notamment. J'ai un jour constaté que ma collection était constituée peut-être à quatre-vingt pour cent d’artistes femmes. Sans doute leur sensibilité me touche-t-elle davantage.
CD: Comment procédez-vous lorsque vous êtes invité par des institutions espagnoles ou étrangères à réaliser des expositions à partir de votre fonds ? Proposez-vous vous-même une thématique? Un choix?
RT: Je travaille avec une critique d'art, Gloria Picazo, qui connaît parfaitement ma collection. Je la consulte pour toutes les expositions que j'organise, en Espagne (Valence, Bilbao...) ou à l'étranger. Pour l'exposition « Comme une image» au CRAC Alsace, j'a laissé Hilde Teerlinck libre de faire ses choix.
CD: Comment défnissez-vous votre programme d'acquisitions? Avez-vous des critères spécifiques?
RT: Mes choix sont très personnels et difficiles à expliquer. Ils sont une affaire de sensibilité, je dirais même d'amour.
CD: Quelle relation entretenez-vous avec les artistes?
RT: Je connais tous les artistes dont j'ai acquis les œuvres. Je travaille en étroite collaboration avec eux et m'entretiens systématiquement de leurs projets, d'autant que je participe de plus en plus à la production d'oeuvres.
CD: J'aimerais évoquer les liens noués entre le cinéma et la photographie dans votre collection. Prenons l'exemple des séries de Tracey Moffatt ou de Tacita Dean que vous présentez à Altkirch dans leur intégralité. Ce sont des photographies fortement marquées par le cinéma, qui comportent une trame narrative, tissent un véritable scénario. Le travail de Cindy Sherman, également présenté, centré sur la question du travestissement, est lui aussi fortement empreint du modéle cinématographique. Ne pensez-vous pas que, par ricochet, ces photographies exercent à lour tour une influence sur l'image mobile (cinéma ou vidéo)?
RT: Four montrer l'importance de la photographie dans le cinéma on peut déjà citer Buñuel et Fellini.
CD: J'ai pour ma part été frappée, en voyant les derniers films de Chantal Akerman, par le caractère extrêmement photographique de l'image qui me semble proche de la tradition de la photographie objective allemande. Certains plans semblent à mi-chemin de l'image fixe et de l'image mobile, au point d'évoquer des images animées ou des tableaux vivants. Chantal Akerman explique volontiers qu'il lui semble déterminant de faire éprouver physiquement le temps au spectateur. Je me demande ce qu'il advient du temps dans les photographies scénarisées de Tracey Moffatt, par exemple?
RT: Ce sont sans doute les vidéastes qui ont poussé le plus loin la résistance du spectateur en termes de temporalité. Je pense notamment à Gary Hill. Je suis pour ma part une personne de l'image et une image c'est, avant tout, instantané, immédiat. Je suis très impulsif, voire compulsif, dans mes choix. J'ai soixante-trois ans et envie de faire encore une foule de choses. Je suis un homme très pressé!
CD: Le paradoxe est intéressant: vous dites que ce qui vous plaît dans la photographie, c'est son caractère instantané, immédiat, et, en même temps, vous vous intéressez à des séries de photographies qui impliquent une perception dans la durée.
RT: À chaque fols que je regarde les photographies de Tracey Moffatt, je me rends compte qu'il y a des parties que je n'avais pas vues, comme si j'avais sous les yeux de nouvelles images.
CD: Vous disiez que vous n'aviez pas de critères spécifiques autres que la sensibilité, voire l'amour, pour la constitution de votre collection, mais la vitesse pourrait bien être un critère, ou plutôt une méthode?
RT: Sans doute. Je n'ai pas le choix!
Entretien entre Cécile Dazord, conservateur au Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg, et Rafel Tous, collectioneur, 2003.