Du 13 mars au 22 mai 2005, Come-Back, exposition collective avec Thomas Galler, L.A. Raeven, Sven’t Jolle, Andro Wekua, et une project room avec Italo Zuffi, sur un commissariat d'Hilde Teerlinck.
La production artistique présentée aborde de nouveau des thèmes comme la mélancolie, la construction de l'identité et la nostalgie, qui sont étroitement liés à la mémoire et au vécu personnel. La mémoire devient la matière première des travaux et se trouve dans un processus de transformation continuel. Ces œuvres sont unies par un sentiment de solitude sous-jacent, qui trouve son expression dans une recherche du beau et du merveilleux ou, au contraire, dans la quête du dérangeant et de l'utopie brisée. Si les quatre approches présentées dans cette exposition traitent de la question sous des angles très différents, on peut cependant établir certains parallèles. Cette exposition est pour les quatre points de vue artistiques l'occasion de se rencontrer pour la seconde fois au CRAC Alsace, à Altkirch.
Please I'm so bored... ...me too
Les jumelles Angélique et Lisbeth Raeven (nées en 1971) travaillent sous le nom de L.A. Raeven sur les thèmes de la beauté, des idéaux qui y sont associés et de leur place dans notre société. Dans leurs vidéos et leurs performances, elles mettent sans cesse à nu les structures responsables du culte du corps exacerbé et des troubles alimentaires que l'on observe de nos jours. Dans leur travail vidéo Test-room (2003), par exemple, les deux sœurs ont invité plusieurs modèles des deux sexes à un casting fictif. Les modèles ont été "parqués" dans la salle d'attente pour une durée indéterminée, avec à leur disposition un buffet et des boissons alcoolisées. A la manière d'une "étude sociologique", L.A. Raeven ont enregistré les comportements des modèles avec une caméra cachée. La retenue manifeste au début a été brisée par l'alcool, à l'initiative des modèles masculins. Au fil de l'enregistrement, la caméra se concentre de plus en plus sur les visages des différents personnages.
Ils reflètent l'ennui, l'envie de changement. Le vide de la salle d'attente ne fait qu'un avec l'atmosphère de vide du groupe, il devient un calvaire tandis que le capital, l'enveloppe extérieure, fond toujours davantage à chaque gorgée. De la même manière, l'œuvre vidéo présentée dans l'exposition, Sibling Rivalry (2004), fait du vide et de l'ennui conjugués à l'insatisfaction personnelle l'objet central de la réflexion. On voit au centre de ce travail deux jolies jumelles dans une suite d'hôtel qui méditent sur leur relation dans un silence partagé. Ce travail repose sur trois sources. Outre la propre biographie des jumelles, qui ont été confrontées dès l'enfance avec la question de la construction d'une identité propre, le roman de Lolita Pille Hell, qui tourne autour des frustrations de la jeunesse dorée parisienne, a servi de point de départ au travail. Physiquement, les deux sœurs du film rappellent fortement les héritières Hilton, Paris et Nicki Hilton. La double projection synchrone montre les deux sœurs assisses à boire du vin et donnant l'impression de s'ennuyer, tandis que sur la bande son sont récités des extraits du roman ainsi que des textes de L.A. Raeven. Le spectateur devient l'observateur d'une querelle entre sœurs, dans laquelle l'une représente clairement l'animal alpha et l'autre l animal beta. Le titre de la vidéo Sibling Rivalry est emprunté à la psychologie infantile: il s'agit du syndrome de Rebecca, de la rivalité entre jumeaux, qui oscille entre admiration et haine.
C'est un abîme noir qui regarde le visiteur droit dans les yeux dans les photos Sad Dark Eyes (2004) de Thomas Galler (né en 1970). Ce travail consiste en une série de représentations en buste de femmes prenant des poses qui ont de quoi inspirer confiance au photographe. Mais les contours plongés dans la pénombre et les pupilles noires comme l'encre des modèles donnent à ces portraits un côté fantomatique inquiétant. Pour les photographies, il s'agit d'agrandissements de la planche-contact que le labo photo glisse dans les pochettes de tirage pour que le client ait une vue d'ensemble des photos de la pellicule. Alors que Walter Benjamin parle dans son essai intitulé L'oeuvre d'art à l'époque de la reproductibilité technique de la photographie et de sa perte d'aura, on a ici une double perte dans les photos de Galler. Le tirage à partir de la planche-contact de basse résolution inflige aux photos une perte de qualité importante, tandis que le flou qui est apparent par la même occasion permet un gain sur le plan de cette même aura dont Walter Benjamin contestait l'existence. Ces photos sont empreintes d'une mélancolie inhabituelle. Il émane aussi de l'installation Stilles Material (2004) une impression de nostalgie. Sur l'estrade, on a disposé des pièces d'artifice consumées qui servent pour la dernière fois. Elles réveillent le souvenir de l'enfance et du plaisir immense à voir les étincelles et les motifs qui enjaillissent et à sentir l'odeur persistante du soufre. Thomas Galler, qui est par ailleurs surtout connu pour ses vidéos, souvent faites à partir de séquences de récupération, révèle une méthode de travail semblable dans ces œuvres photographiques et plastiques. Il se consacre toujours davantage aux déchets dit-on inutiles: planche-contact, pièces d'artifice consumées ou, comme dans certaines œuvres vidéo, scènes de films restées inutilisées. Il restitue à ces objets une histoire, une valeur, là où on ne voyait auparavant que superflu.
Please remember... ...what?
Avec ses sculptures et ses installations. Sven't Jolle (né en 1966) se fait toujours l'écho de questions socio-politiques. Son œuvre Collection particulière (2000) se compose en deux parties. La première est une maquette des usines Renault à Billancourt, en banlieue parisienne; la seconde est une liste des 200 collectionneurs les plus riches tirée du magazine artnews et une liste des plus grandes fortunes de France. De la confrontation des deux listes, il ressort un nom: François Pinault. Les ouvriers des usines Renault de Billancourt se sont illustrés dans le cours de l'histoire par leur résistance et leur ténacité, surtout face au fascisme avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Renault est aussi entré dans la légende avec les scènes de fraternité entre les ouvriers et des intellectuels et des artistes en mai 1968. Mais ses installations étant devenues vétustes, l'usine a fermé ses portes définitivement en 1992 et la production a été transférée dans des installations modernes à proximité. Le collectionneur François Pinault avait mené pendant de longues années des négociations avec le maire de Billancourt pour pouvoir transformer les anciens ateliers en espace d'exposition pour sa collection d'art privée. Sven't Jolle soulève par ses installations la question de l'antagonisme bien connu de la propriété publique et privée, mais aussi celle de savoir si on ne devrait pas protéger cette usine, qui n'est certes pas un chef d'œuvre architectural, mais qui a acquis une grande importance dans la mémoire collective française. Une collection d'art privée, que l'on peut considérer comme une exaltation de l'instinct de possession d'une personne, est-elle à sa place dans une ancienne usine "socialiste"?
Dans les travaux d'Andro Wekua (né en 1977), l'observateur est confronté à une stratification marquée sur les plans non seulement des matériaux, mais encore du contenu. Outre le cinéma, Wekua travaille aussi avec les médias que sont la peinture, le dessin, le collage et la sculpture, qu'il combine en des installations occupant tout l'espace, se créant ainsi un univers pictural subjectif. Il mêle à cet univers des souvenirs de son enfance en Géorgie, de ses parents et d'autres aspects de son vécu ainsi que des poncifs de l'époque actuelle, empruntés pour l'essentiel à la publicité, qui communique envie et volonté. À partir d'une iconographie constante, Wekua construit une biographie fictive, toujours renouvelée et reformulée. C'est ainsi que surgissent dans l'installation Black Sea Surfer (2004) des photocopies de portraits qui avaient déjà servi à des travaux précédents. Ses travaux apparaissent pour l'observateur comme des énigmes complexes à partir desquelles il doit tenter de distiller les fragments de la vraie biographie de l'artiste et de les replacer dans une causalité, de trouver un fil rouge. Mais le déchiffrage échoue, les fragments de la vraie biographie ne donnent pas de mosaïque convaincante. Il semble plutôt que les traces d'images qui se superposent et se contredisent malgré tout puissent être vues comme une visualisation d'un sentiment collectif de nostalgie de la perte, de nostalgie d'une patrie commune.
C'est ainsi que cette exposition est une quête des propres identités et vécus et des nostalgies qui y sont attachées, qui malgré toute leur diversité retombent toujours dans une collectivité. Au moment du retour, de la confrontation avec soi-même, chacun est cependant de nouveau seul.
Please come back... ...for you. For me.
—Raphael Gygax, commissaire d'exposition au Migros Museum für Gegenwartskunst, Zürich
Come-Back a reçu le soutien du Mondriaan Fonds, Pro Helvetia—Fondation suisse pour la culture, et Ministerie van de Vlaamse Gemeenschap, Bruxelles.