Du 27 octobre 2013 au 26 janvier 2014, Smog à Los Angeles., exposition personnelle d'Elisabetta Benassi, sur un commissariat d'Elfi Turpin.
Smog a Los Angeles., avant de devenir le titre atmosphérique de cette exposition, est une annotation trouvée au dos d’une photographie issue d’une des archives qu’Elisabetta Benassi est en train de constituer, un ensemble de plus de 70 000 photos collectées dans les documentations de grandes agences de presse ou de quotidiens nationaux tels La Stampa ou le New York Times. Si les événements, sites et figures paradigmatiques du 20e siècle y côtoient des faits plus mineurs ou des personnalités tombées dans l’oubli, les documents rassemblés par l’artiste sont toujours significatifs d’une vision problématique, équivoque des événements et des idéologies qu’ils adressent. Tout d’abord, parce qu’Elisabetta Benassi nous montre le verso des photographies choisies, c’est-à-dire les descriptions, les légendes, les crédits, les tampons et les nombreuses notes qui classent et informent l’image, plutôt que l’image elle-même—l’observation et la lecture du revers de la photographie nous conduisant alors à faire un effort de reconstruction et de reconstitution de l’image manquante. Enfin parce qu’en remettant en circulation ces documents, l’artiste conçoit différents modes de reproduction et de présentation qui leur offrent une nouvelle matérialité. Les archives vont ainsi donner forme à des objets—installations, sculptures, films, microfilms, dessins, entre autres. De scrupuleuses reproductions à l’aquarelle livrent, par exemple, le relevé, presque archéologique, de chaque indice, chaque inscription, chaque aspérité du papier, et rendent tangibles les restes matériels d’intrigues aujourd’hui invisibles; ou encore un lecteur de microfiches (Memorie di un Cieco), tel qu’on en trouvait dans les bibliothèques, donne aussi à lire le revers de ces images, en avançant et reculant aléatoirement dans le temps. L’artiste ne cesse d’actualiser le passé et d’agencer des histoires sans chronologie.
Le cas Smog a Los Angeles est paradoxal et exemplaire du travail d’Elisabetta Benassi. Tapée à la machine à écrire et seulement accompagnée d’un numéro manuscrit sur la surface immaculée, disons presque amnésique, du papier photographique, cette laconique légende décrit l’image de quelque chose (du brouillard) qui empêche de voir (Los Angeles). Il s’agit donc de se re-présenter ce que l’on ne peut observer, à l’aide de sa mémoire ou à défaut de la fiction. C’est que l’exposition Smog a Los Angeles nous engage à pénétrer par les angles morts de l’Histoire, à nous rappeler, à interpréter et à inventer. Notre vision y est mise en action par divers dispositifs pointant, transformant et problématisant de curieuses archives. Là, une machine temporelle, ici, le chant d’un oiseau, un tapis reproduisant un télégramme ayant changé une face du monde, une cellule moderniste, une aquarelle, une table de cantine d’usine vibrant encore du passage des ouvriers ou bien une automobile, font de l’Histoire du 20e siècle ou plutôt de sa mémoire un espace dense—une exposition dans laquelle le spectateur circule à l’aveugle, trébuchant sur des souvenirs, revenant sur des erreurs d’interprétations, conversant avec les spectres de Pasolini, d’Angela Davis, de Mario Merz, d’Einstein, d’animaux célèbres et d’illustres dictateurs.
—Elfi Turpin, octobre 2013.