Du 18 octobre 2015 au 17 janvier 2016, Alma-Bluco, exposition personnelle de Musa paradisiaca, sur un commissariat d'Elfi Turpin.
«Ton père fut un sphinx et ta mère une nuit.»*
Voilà ce qui me revient systématiquement en tête lorsque je m’apprête à parler d’Alma-Bluco, exposition personnelle de Musa paradisiaca. Il me vient une phrase-écran, une injonction énigmatique, presque un charme, qui ne laisse passer aucun autre mot tant elle suffirait à informer la genèse et les contours de cette exposition.
Pourtant il y aurait à dire:
Musa paradisiaca est un projet d’Eduardo Guerra et Miguel Ferrão qui tend à construire une famille de pensée aux multiples voix.
L’exposition Alma-Bluco est la réunion de cette famille composée des entités et des figures tutélaires que Musa paradisiaca a rencontrées et incorporées dans une pratique qui consiste en la formation d’une pensée magique faite de mythes, d’histoires et d’actions issues de systèmes de croyance vernaculaires.
Musa paradisiaca fait un jour la rencontre de Francisco, le gardien d’une machine à vapeur qu’il doit régulièrement mettre en route afin de la maintenir en vie.
L’an passé, Musa paradisiaca conçoit et présente Ecstasy et Eden au CRAC Alsace, film 16 mm qui observe et ventriloque l’éveil et l’énergie vitale de cette machine, accompagné d’un ensemble de sculptures en goudron. Eduardo et Miguel saisissent alors la très forte connexion entre l’homme et la machine—sorte de bête géante endormie, rêvant avec Francisco qui se repose à ses côtés et la garde au chaud.
Depuis quelques mois, Musa paradisiaca travaille dans une boulangerie. La nuit, Eduardo et Miguel fabriquent des sculptures en pain qu’ils servent le jour dans la cantine d’un musée. Le fournil se révèle être au cœur d’une activité humaine qui se produit lorsque toutes les autres cessent—un espace où, la nuit, opère une force mystérieuse capable de créer de la nourriture.
Un soir, le boulanger leur explique pourquoi les grands animaux dorment debout. Il dit:
«Quand une bête est couchée, ses organes changent de place, conduisant l’animal à la suffocation. Ainsi tombée, une bête peut ne plus jamais se relever».
C’est alors que l’un d’entre eux se souvient de ce rêve:
«Lors d’une nuit d’orage emplie des aboiements de chiens, le moule en bois grandeur nature d’un cheval est couché sur le sol».
L’exposition Alma-Bluco—Âme crue—se situe à la croisée de ces observations et expériences, elle agit au point de bascule entre la nuit et le jour. Et le CRAC Alsace qui l’abrite, devient le lieu d’apparition et de transformation des corps bâtards du Chanteur, de Colina, de Francisco, de Nuna et de Poppe, «Maraudeur étranger malheureux malhabile Voleur voleur»**, sphinx coincés entre deux mondes.
—Elfi Turpin, octobre 2015.
* Guillaume Apollinaire, «Le Larron», Alcools—poèmes 1898-1913, Éditions de la Nouvelle Revue française, troisième édition, Paris, 1920.
** Ibidem.
L'exposition a reçu le soutien de Camões, I.P.—Instituto da Cooperação e da Língua, Portugal et Fondation Calouste Gulbenkian.